26 juillet 2025

French NUAGE m. vs Spanish NUBE f.

Je voudrais réagir à une erreur assez commune qui consiste à comparer le genre des noms entre langues romanes. On ne peut comparer que ce qui est comparable.

Voici un exemple pris dans un article de la revue The Open Applied Linguistics Journal, daté de 2008, intitulé  Grammatical Gender Affects Bilinguals’ Conceptual Gender: Implications for Linguistic Relativity and Decision Making

Il est courant de lire que certains noms ont des genres grammaticaux opposés dans différentes langues romanes, bien qu’ils désignent la même réalité. C’est le cas du mot « nuage », masculin en français (un nuage), et de son équivalent espagnol nube, féminin (una nube). À première vue, cette différence semble illustrer une certaine arbitrarité du genre grammatical. Pourtant, une analyse étymologique révèle une toute autre réalité.

Deux mots, une origine commune : nūbēs

Le mot espagnol nube et l’ancien mot français nue sont des formes sœurs, toutes deux directement issues de la langue mère latine nūbēs, nūbis, féminin, signifiant « nuage » ou « nuée ».

  • En espagnolnube est attesté dès le XIIIᵉ siècle : c’est un emprunt direct au latin nūbēs, qui conserve à la fois le sens (nuage) et le genre féminin.

  • En français, le mot nue apparaît dans les textes au début du XIIᵉ siècle avec exactement la même origine latine : nūbēs. Lui aussi conserve le genre féminin du latin. Ce mot est aujourd’hui vieilli, mais subsiste dans des expressions comme tomber des nues ou porter aux nues.

Autrement dit, le français et l’espagnol ont emprunté le même mot latin, au même genre, et l’ont intégré à leur lexique avec les mêmes propriétés grammaticales. Il n’y a donc ici aucune divergence initiale : nube et nue sont des mots parallèles et équivalents dans leur première phase d’attestation.

Quand le français masculinise le ciel : l’apparition de nuage

Le contraste de genre apparent aujourd’hui ne vient pas d’un désaccord entre les langues, mais d’un développement ultérieur propre au français.

  • Dès la fin du XIIᵉ siècle, le français crée un dérivé féminin : nuée, signifiant « amas de nuages » ou « gros nuage ».

  • Puis, au XVIᵉ siècle, émerge nuage, un nouveau mot, formé par dérivation à partir de nue, avec le suffixe masculin –age (comme dans fromage, paysage, ouvrage). Ce suffixe impose le masculin grammatical, indépendamment du genre de l’étymon initial.

Ainsi, le mot moderne nuage n’est pas un héritier direct de nūbēs, mais un dérivé de nue, mot lui-même issu de nūbēs. Le genre masculin résulte ici d’un mécanisme morphologique interne au français, non d’une conservation latine.

Conclusion : une opposition apparente, une origine commune

L’exemple souvent cité du « nuage masculin » en français et de la nube féminine en espagnol ne démontre pas une divergence aléatoire du genre grammatical entre langues romanes. Il illustre au contraire une parenté étroite et une divergence secondaire :

  • Espagnol : nube ← nūbēs (féminin conservé)

  • Français : nue ← nūbēs (féminin conservé, mot vieilli) → nuage (dérivé masculinisé)

Plutôt que de refléter une variation capricieuse du genre, ce cas révèle la stabilité des héritages étymologiques et la régularité des processus de dérivation. Le genre grammatical n’est pas arbitraire : il est construit, transmis, ou reconfiguré selon les formes, les suffixes et l’histoire lexicale des mots.


Latin nūbēs (f.)
     │
     ├──► Espagnol : nube (f.) — XIIIe
     │
     └──► Français : nue (f.) — XIIe
                │
                ├──► nuée (f.) — XIIe (vieilli)
                └──► nuage (m.) — XVIe (courant)


Espagnol :  NUBE f.
Latin : Nuba  f.
Français :
NUE f. D'un lat. pop. *nuba, altération du lat. class. nubes «nuage; essaim; obscurité, voile (fig.)»
NUEE f. Dér. de nue*; suff. -ée, v. -é.
NUAGE m. XVIe Dér. de nue* auquel il s'est substitué; suff. -age (suff. masculin)



24 juillet 2025

Noms féminins atypiques à finale Vø (ouverte-démarquée)

 Dans un billet précédent, nous avions examiné les noms masculins les plus atypiques — ceux dont la finale ouverte vocalique marquée (type Ve, ex. le lycée) dérogeait aux régularités majoritaires. Aujourd’hui, poursuivons cette exploration avec un autre cas-limite : les noms féminins à finale fermée consonantique non marquée, que nous noterons Cø (ex. la mer).

22 juillet 2025

Noms féminins atypiques à finale Cø (fermée démarquée)

   Dans un billet précédent, nous avions examiné les noms masculins les plus atypiques — ceux dont la finale ouverte vocalique marquée (type Ve, ex. le lycée) dérogeait aux régularités majoritaires. Aujourd’hui, poursuivons cette exploration avec un autre cas-limite : les noms féminins à finale fermée consonantique non marquée, que nous noterons Cø (ex. la mer).

21 juillet 2025

Noms masculins atypiques à finale Ve (ouverte marquée)

    Dans notre précédent billet, nous avions établi une cartographie des quatre types de finales phonographiques possibles pour les noms français. Aujourd'hui, nous allons identifier les noms masculins atypiques à finale ouverte marquée.

19 juillet 2025

Distribution des genres par types de finale

 

    Dans cet article, sont présentées des statistiques concernant la distribution des genres masculin et féminin par types de terminaisons, extraites d'un corpus de 6912 noms français d'inanimés et d'animés non sexués comme victime f.  (pas de noms dont le genre serait naturel/biologique).

I. Les différents types de terminaison

Deux types de terminaisons orales (ouverte vs. fermée) :

    1- Terminaison dite ouverte (son de voyelle = notée V) : 

        ex. croissan[kʀwa.sɑ̃] ; boulangerie [bu.lɑ̃ʒ.ʀi] 

    2- Terminaison dite fermée (son de consonne = notée C) : 
        ex. baguette [ba.gɛt] ; sac [sak] 

Deux types de terminaisons écrites (marquée vs. démarquée) :

    1- Terminaison dite marquée (marque "e")

        ex. baguette ; boulangerie  

    2- Terminaison dite démarquée (marque "ø") : 
        ex. croissantø ; sacø 

Résumé (quatre types de terminaisons et leur notation) :

    1- Terminaison ouverte-marquée (Ve) : boulangerie /-iavec e
    2- Terminaison ouverte-démarquée (Vø) : croissantø /-ɑ̃sans e
    3- Terminaison fermée-marquée (Ce) : baguette   /-t/ avec e
    4- Terminaison fermée-démarquée (Cø) : sacø /-k/ sans e

II Distribution des types de terminaisons par genre  


 

Les différentes "DUALITÉS" (seulement deux choix possibles) : 

    1- genre masculin m. / féminin f.
    2- finale orale : ouverte (V) / fermée (C) 
    3- finale écrite : marquée (e) / démarquée (
ø)

Distribution par dualité de genre (m. / f.) 
    6912 noms (100%) : 3662 noms masculins (53%) - 3250 féminins (47%)

Distribution par dualité de finale à l'orale (V / C) : 
    6912 noms (100%) : 3740 finale (C) (54%) 3172 finales (V) (46%

Distribution par dualité de finale à l'écrit (e / ø
    6912 noms (100%) : 3654  démarqués (53%) - 3258 marqués (e) (47%)


Les différentes "COMBINAISONS

Combinaisons de 2 dualités : genre vs. finale orale

 genre + finale orale   fermée (C) / ouverte (V)
        3662 noms masculins répartis ainsi :  (V) 1859 = 51% / (C) 1803 = 49% 
        3250 noms féminins répartis ainsi :    (C) 1937 = 60% / (V) 1313 = 40%

 genre + finale écrite   marquée (e) / démarquée (ø) : 
        3662 noms masculins répartis ainsi :  (ø) 2679 = 73% / (e) 983 = 27% 
        3250 noms féminins répartis ainsi :    (e) 2275 = 70% / (ø) 975 = 30%

Combinaisons de 2 dualités : finale orale  vs. finale écrite 

  3740 noms à finale orale fermée (C) :  Ce 2808 = 75% / Cø 932 = 25%  
  3172 finale orale ouverte (V) :             Vø 2722 = 86% / Ve 450 = 14%  

Combinaisons de 3 dualités : genre vs. finale orale vs. finale écrite  

    3662 noms masculins répartis ainsi :  
    (Vø) 1839 = 50,2% / (Cø) 840 = 23% // (Ce) 963 = 26,3% / (Ve) 20 = 0,5%

    3250 noms féminins répartis ainsi :   
   (Ce) 1845 = 57% / (Vø) 883 = 27% / (Ve) 430 = 13% / (Cø) 92 = 3%

Sur le total des noms (6912) :

    Les masculins démarqués (2679) = (Cø 26,5+ Vø 12%) = 38,75%  

    Les féminins marqués (2275) = (Ce 26+ Ve 6,5%) = 32,91% 

    Les masculins marqués (983) = (Ce 14+ Ve 0,25%) = 14,22% 

    Les féminins démarqués (975) = (Cø 1,5+ Vø 12,5%) = 14,12% 

Les finales prototypiques des genres masculin (Cø +Vø 38,75% des noms) et féminin (Ce + Ve 32,91% des noms) représentent 71,66du total des noms (c.à.d. 4954 noms / 6912). 

Les finales atypiques 28,34du total des noms (1958 noms / 6912) sont également réparties entre masculin (c.à.d. 98314,22%) et féminin (c.à.d. 975 14,12%).

Tableau général des données calculées :


05 juillet 2025

TRIPLETTES masculines

Les noms terminés en triple consonne [CCC] sont masculins

    C+tre : [-stʀ] [-ktʀ] [-ltʀ] [-ptʀ]
    r+Cre : [-ʀbʀ] [-ʀdʀ] [-ʀpʀ]
   Autres : [kst] [-lkʀ]

Masculins par emprunt au latin :
    séquestre [se.kɛstʀ] LAT sequestrum nt. 
    orchestre [ɔʀ.kɛstʀ] LAT orchestra nt. du GRE 
    registre [rə.ʒistʀ] LAT registrum nt. 
    lustre(5 ans) [lystʀ] LAT lustrum nt. 
    monstre [mstʀ] LAT monstrum nt. 
    balustre [ba.lystʀ] LAT sequestrum nt. 
    astre [astʀ] LAT astrum nt.
    sépulcre [se.pylkʀ] LAT sequestrum nt. 
    spectre [spɛktʀ] LAT spectrum nt.
    filtre [filtʀ] LAT filtrum nt.
    philtre [filtʀ] LAT filtrum nt.
    sceptre [sɛptʀ] LAT sceptrum nt.
    marbre [maʀbʀ] LAT marmor nt.
    tertre [tɛʀtʀ] LAT termitem nt. 
    tartre [taʀtʀ] LAT tartarum nt. 
    ordre [ɔʀdʀ] LAT ordo m.
    texte [tɛkst] LAT textus m. (prétexte, contexte)
    *arbre [aʀbʀ] LAT arbor f. (changement de genre dès le gallo-roman)

Masculins par emprunt à l'italien :
    lustre(brillance) [lystʀ] ITA lustro m.
    cadastre [ka.dastʀ] ITA catastro m. par le provençal
    désastre [de.zastʀ] ITA disastro m.
    pilastre [pi.lastʀ] ITA pilastro m.

Masculins par substantivation :
    trimestre [tri.mɛstʀ] adjectif latin trimestris (de trois mois) substantivé
    semestre [sə.mɛstʀ] adjectif latin semestris (de six mois) substantivé
    sinistre [si.ni.stʀ] adjectif latin sinister (à gauche) substantivé
    pourpre [puʀpʀ] adjectif pourpre substantivé

Masculins par dérivation :

    meurtre  [muʀtʀ] déverbatif de meurtrir


Masculins génériques ou biologiques :
    ministre  [mi.nistʀ]
    extraterrestre  [ɛk.sta.tɛ.ʀɛstʀ] 
    bourgmestre  [buʀg.mɛstʀ]

Origine inconnue
    bistre [bistʀ]

Il existe cependant 4 noms féminins :
    la pourpre [puʀpʀ] LAT purpura f. 
    une dartre [daʀtʀ] LAT derbita f.
    une martre [maʀtʀ] ou marte [maʀt] FRQ martar
    une piastre [pjastʀ] ITA piastra f. 

French NUAGE m. vs Spanish NUBE f.

Je voudrais réagir à une erreur assez commune qui consiste à comparer le genre des noms entre langues romanes. On ne peut comparer que ce qu...