24 juillet 2025

Noms féminins atypiques à finale Vø (ouverte-démarquée)

 Dans un billet précédent, nous avions examiné les noms masculins les plus atypiques — ceux dont la finale ouverte vocalique marquée (type Ve, ex. le lycée) dérogeait aux régularités majoritaires. Aujourd’hui, poursuivons cette exploration avec un autre cas-limite : les noms féminins à finale fermée consonantique non marquée, que nous noterons Cø (ex. la mer).

📌 Petit rappel 1 : les types de finales

On distingue généralement quatre grands types de finales :

  1.  (voyelle, sans e) : (ex. un pot /po/)

  2. Ve (voyelle + e) : (ex.  une vie /vi/)

  3.  (consonne, sans e) : (ex. un sac /sak/)

  4. Ce (consonne + e) : (ex. une ville /vil/)

📌 Petit rappel 2 : la distribution du féminin

La norme prototypique du féminin :

A l'oral, 60 % des noms féminins ont une finale fermée (consonantique).
A l'écrit, 70 % des noms féminins sont marqués (présence d’un e final).

Distribution par type de finale :

    Type de finaleProportion
        Ce            57 %  (ex. une valise, la tendresse)
                    27 %  (ex. la paix, la vertu, la révolution, la liberté)
        Ve            13 %  (ex. une idée, une librairie)
                    3 %  (ex. la soif, la chaleur)
  

🔍 Focus sur la finale  féminine

La finale Vø n'est pas prototypique du féminin, mais représente quand même, 27 % des noms féminins ; elle ne semblent pas si marginal, après tout…

En fait, 90 % de ces noms sont en réalité des dérivés construits avec les suffixes féminins très productifs -ion ou -ité. Hors dérivation, les Vø féminins deviennent très rares : une centaine tout au plus.

🧬 Quel est le profils des  féminins ?


1. Les dérivés suffixés représentent 90 % des items 

🔸 Suffixe -ion sur base verbale (action ou résultat) :

-ion f. : révolution, addition, action, union, région, direction, éducation
-aison f. : terminaison, conjugaison, livraison, liaison (raison, maison, saison) 
-on f. : boisson, façon, leçon, rançon, prison, toison, guérison, garnison

🔸 Suffixe -ité sur base adjectivale (qualité, caractéristique) :

-ité f. :  humanité, banalité, égalité, fraternité, fragilité, gratuité, mobilité
-té f. : bonté, dureté, santé, fierté, faculté, beauté, naïveté, loyauté, liberté   
-tié f. : amitié, pitié, moitié  
Ces dérivations très productives expliquent la masse importante des Vø féminins.
    Les 10% restant sont les vrais noms atypiques et leur liste est très peu expandable. Ils représentent 3% du total des noms féminins (hors dérivation avec les suffixes féminins -ion et -ité).

2. Des noms anciens hérités du latin (11ᵉ-12ᵉ siècle)

    Une trentaine de noms courts et souvent courants ont conservé le féminin de leur étymon latin : 

chauxfaux, paix, croix, noix, voix, perdrix, toux   -  loifoi fois, paroi  -  clé, forêt -  fourmi, souris, merci, nuit  -  glu, vertu, tribu  -  eau peau  -  faim, main  -  

Cas particuliers

  • Bien que masculins en latin, les noms fin et dent sont devenus féminins en français !
  • gens, issu du latin gens, gentis f., est masculin en français, mais l'adjectif qui le précède s'accorde au féminin (de vieille gens, de bonnes gens)


3. Des emprunts directs à des langues genrées (genre étymologique)

Emprunts savants au latin et au grec
  
    Latin (savant) : aura, anica, caméra, (super)nova, libido 
    Grec (savant) : acné, paranoïa, diaspora

Emprunts aux autres langues romanes (avec la marque du féminin -a)  

Espagnol : fiesta, armada, cafétéria, corrida, rumba, marijuana, guérilla, noria, paella, pampa, peseta, sangria, tortilla, tourista 

Italien : chipolata, loggia, mafia, malaria, marina, pasta, pergola, pizza, pizzeria, polenta, toccata, tombola, villa

Autres langues  (avec le -a final) 

Arabe : baraka, casbah, fatwa, harissa, intifada, nouba, razzia, smala, 
Russe : balalaïca, datcha, duma, pérestroïca, taïga, toundra, troïca, vodka
Hébreux : kippa, Torah, Shoah
Polonais : mazurkca  - Tchèque : polka Nordique : saga  

4. Des emprunts non genrés (neutralisation)

Certains mots viennent de langues peu genrées comme l’anglais et sont féminisés par analogie avec un nom français :

Anglais :  hi-fi (haute-fidélité f.), wi-fi (hi-fi f.), surprise-party (partie, fête f.), 
story (histoire f.), interview (entrevue f.)parka (veste)  

5. Des apocopes féminines (formes raccourcies)

    Issues de mots féminins longs, ces formes tronquées gardent leur genre malgré l’abréviation. Leur finale est complètement fortuite :

    appli     (→ application f.)
    auto     (→ automobile f.)
    diapo     (→ diapositive f.)
    expo     (→ exposition f.) 
    info     (→ information f.)
    interro     (→ interrogation f.) 
    météo     (→ météorologie f.) 
    moto     (→ motocyclette f.) 
    photo     (→ photographie f.)
    radio     (→ radiodiffusion f. - radiographie f.) 
    récré     (→ récréation f.)
    sécu     (→ sécurité f. sociale)  

⚠ Noms animés féminins à finale Vø :  rares et connotés

  • bru, nana, nounou, putain, catin, souillon

  • jument, brebis, guenon

  • Mots empruntés : prima donna, diva, geisha, bimbo, vahiné


❓Pourquoi une telle rareté des Vø féminins "non dérivés" ?

Comme la finale Ve pour le masculin, la finale Vø  est "contre-nature" pour le féminin, dans la norme morphophonologique du français.



✅ Quel avantage pédagogique en tirer ?

  • Les Vø féminins non dérivés sont peu nombreux, environ une centaine, et très spécifiques (emprunts anciens, latins savants, apocopes, emprunts genrés). Cela les rend faciles à mémoriser.

  • En parallèle, on peut retenir que la quasi-totalité des autres noms en Vø sont masculins.


🧠 Conclusion pédagogique :

Le féminin non marqué à finale voyelle (Vø) est statistiquement présent, mais structurellement marginal en dehors des formations suffixées. Sa reconnaissance permet une lecture motivée du genre et évite de sombrer dans des généralisations erronées fondées uniquement sur la forme.

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