25 décembre 2025

Genre grammatical et héritage latin : le cas de VERRE et VITRE

    Pourquoi dit-on un verre, mais une vitre, alors que les deux noms proviennent du même étymon neutre latin ?

    En latin, langue à l'origine du français, il y a avait trois genres : masculin, féminin et neutre. Les neutres latins ont été redistribués entre le masculin et le féminin français. Certe, une large majorité sont devenus masculins, mais un nombre non négligeable de neutres pluriels est devenu féminin.

    VERRE m. et VITRE f. sont une bonne illustration de cette redistribution des neutres latins.

1. VERRE m. /vɛr/

    En latin, vitrum est un nom neutre qui désigne le verre comme matière. En français, il a évolué en "voirre", puis en verre et a pris normalement le genre masculin.

    Si le genre masculin de verre est clairement étymologique puisque comme nous l'avons vu, les neutres latins sont devenus masculins en français, il est aussi sémantique (générique), car verre fait partie des hyponymes masculins de matériaux/matières (métaux, minerais...) : fer, bronze, cuivre, acier, aluminium, plastique, aggloméré, papier, carton, caoutchouc, bois, liège, cuir, sable, marbre, grès, granit(e), béton, ciment, goudron, bitume...

    Le e final de verre est orthographique, et ne correspond pas à une marque de genre.

2. VITRE /vitr/

    Vitra le neutre pluriel de vitrum désignait des ensembles de plaques de verre. Sa finale en -a a été réinterprétée comme féminin singulier pour donner VITRE f. (carreau de verre)

    Le genre féminin correspondant à un ancien collectif, et de nombreux autres neutres pluriels en -a sont ainsi devenu féminins en français : arme, bataille, corne, dette, feuille, joie, librairie, médaille, paire, tourmente, viande... Ces noms ont tous une terminaison typique du féminin, le e s'étant substitué au -a latin.

    Le genre féminin de VITRE peut être considéré comme étymologique puisque ce nom n'est pas un cas isolé mais suit le modèle de nombreux autres neutres devenus féminins. Le genre est également partiellement sémantique (héritage d'une valeur collective féminin), et grapho-phonologique par association avec la marque du féminin.

En résumé

Les deux mots verre et vitre, bien qu'issus du même étymon latin, ont divergé pour se spécialiser dans leur signification et leur genre :

VERRE m. (matière, et par métonymie un gobelet en verre) en suivant la règle générale du neutre devenant masculin. Finale orthographique.

VITRE f. (carreau en verre) en suivant la réinterprétation du pluriel neutre collectif en féminin singulier. Finale typique du féminin.

19 décembre 2025

Les six noms féminins en -age



Les 6 noms féminins qui ne sont pas des dérivés du suffixe masculin -age
 

une IMAGE sur une PAGE
une CAGE sur une PLAGE 
un oiseau en NAGE et en RAGE

28 novembre 2025

Vocabulaire m. vs. grammaire f.

Pourquoi vocabulaire et grammaire n'ont-ils pas le même genre ?


Trois raisons à cela : le genre de leur étymon, le genre de leur suffixe et le genre de leur générique (hyperonyme).   

VOCABULAIRE  (liste de vocables) masculin

Genre étymologique  

Attesté au XVe siècle, Vocabulaire est un emprunt au latin médiéval vocabularium de genre neutre signifiant "liste de vocables"Les neutres du latin sont régulièrement devenus masculins en français.  

Genre suffixal 

En français moderne, vocabulaire est un dérivé de vocable au moyen du suffixe collectif masculin -aire, qui exprime l’idée de « liste ou recueil de mots ». 

Ce suffixe savant a été assez productif :


bréviaire            liste/recueil de brèves prières  (12e, du latin)
bestiaire            liste/recueil de (contes) avec des bêtes  (12e, du latin)
formulaire         liste/recueil de formules (14e, du latin)    
inventaire          liste de biens répertoriés (14e, du latin) 
itinéraire            liste d'étapes par où l'on passe (14e, du latin)  
commentaire     liste/recueil d’observations, de notes (15e, du latin
abécédaire        liste/recueil des lettres de l'aphabet (16e, du latin) 
dictionnaire       liste/recueil de "dictions" (propos, expressions) (16e, du latin 
glossaire             liste/recueil de gloses (16e, du latin
questionnaire  liste de questions (16e, du latin)  
sommaire         liste des principales divisions d’un ouvrage  (16e, du latin)  
horaire              liste d'heures marquant le début et la fin d’une activité (19e adj. substantivé)
argumentaire     liste/recueil d’arguments (20e, dérivé de argument)  


Genre générique/sémantique (classe d'hyperonymes/synonymes genrés) 

On observe empiriquement que les noms désignant des "objets constitués de feuilles assemblées, imprimé ou manuscrit" sont très majoritairement masculins. 

Hyperonymes : abécédaire, actes, agenda, album, almanach, annuaire, atlas, bestiaire, book, bottin, bréviaire, cahier, catalogue, codex, Coran, dictionnaire, digest(e), dossier, essai, guide, grimoire, journal (quotidien, canard, intime), lexique, magazine (périodique), manuel, mémoire, missel, portfolio, précis, registre, répertoire, recueil, roman (polar), script, syllabaire, thésaurus, traité, vocabulaire...

Synonymes : bouquin, exemplaire, fascicule, livre, livret, manuscrit, numéro, opuscule, ouvrage, pavé, polycopié, tapuscrit, titre, tome, volume...


Les cas féminins sont soit...


- des dérivés féminins : une publication, une parution


- des composés savants féminins : une anthologie, une biographie, une monographie, une encyclopédie


- le résultat de métonymies  

une torah (13e) emprunt à l'hébreu signifiant "instruction, doctrine, enseignement" et par métonymie "un exemplaire écrit" 

une revue (18e) emprunt à l'anglais review, lui même du français revue f. (restauration du genre de l'étymon français) ; il désigne une publication périodique et par métonymie "un exemplaire imprimé de cette revue"

une thèse : emprunt au latin thesis f. ; proposition de recherche soutenue lors d'un doctorat ; par métonymie, "un exemplaire imprimé de cette thèse"

une grammaire : emprunt au latin grammatica f. (science des lettres) ; par métonymie, "un manuel de grammaire"


- des emprunts

une bible (12e) Emprunt au latin chrétien biblia f. 


GRAMMAIRE (grammatique ou science des lettres) féminin 

Genre étymologique  

Grammaire est un emprunt (XIIe siècle) au latin grammatica f. (grammatique ou science des lettres), lui même un emprunt au grec grammatikê f. forme féminine substantivée de l'adjectif grammatikos (qui connaît les lettres)  

Genre suffixal 

Grammaire est dérivé du grec gramma (lettre) à l'aide, originellement, du suffixe féminin -ique signifiant "science/art de", puis refait phonétiquement au moyen âge en "grammaire". Alain Rey qualifie grammaire de dérivé "irrégulier".

Contrairement aux apparences, grammaire serait à rapprocher des emprunts/dérivés féminins en -ique comme : musique, physique, mathématiques, linguistique, informatique, génétique... 

Genre générique/sémantique (classe d'hyperonymes genrés)

On observe empiriquement que les noms désignant des "sciences, arts, techniques, disciplines" sont féminins.

agronomie, astrologie, biologie, chimie, céramique, chorégraphie, cinématographie, dramaturgie, écologie, économie, géographie, grammaire, histoire, ingénieurie, littérature, mécanique, médecine, peinture, philosophie, photographie, poésie, robotique, sculpture... 

06 novembre 2025

Pourquoi "PLUIE" est féminin et "PARAPLUIE" masculin

Si le genre grammatical de PLUIE s'explique facilement, 
celui de PARAPLUIE demande un peu plus de développement. 


🌧️ PLUIE : un héritage latin

Le mot pluie, attesté depuis le XIᵉ siècle, vient du latin pluvia, nom féminin dérivé du verbe pluere (pleuvoir). Le français a simplement conservé le genre féminin du latin : 

une pluie fine, une forte pluie

 Le genre de pluie est donc étymologique. Il a conservé le genre féminin de son étymon latin.


☂️ PARAPLUIE : un composé verbal franco-italien

Au 16e siècle, le français emprunte à l'italien les noms parasol (parasole m.) et paravent (paravento m.), eux-mêmes issus du verbe italien parare (se défendre). En italien, comme en français, le genre masculin est motivé par la nature verbale (donc non genrée) et exocentrique (sans tête) de ce type de composition. 

Le français s'est mis à créer de nouveaux composés sur le modèle italien. Le mot parapluie (ce qui protège de la pluie) naît ainsi au 17e siècle, suivi de parachute (ce qui protège de la chute) et   paratonnerre (ce qui protège du tonnerre) au 18e.    

La forme de composition a été francisé plus tard à l'aide de pare- (verbe parer), pour donner des composés masculins : (19e siècle) un pare-feu(20e siècle) un pare-brise, un pare-choc, un pare-soleil, un pare-boue, un pare-douche, un pare-pierres, un pare-pluie

Le genre de parapluie est neutralisé, c'est à dire masculin par défaut. C'est le cas de tous les composés verbaux (ex. ouvre-boîte, porte-bonheur, lance-flamme, appuie-tête, lave-linge, grille-pain etc.) car ils n'ont pas de tête genrée contrairement aux composés endocentriques comme chou-fleur m. (un type de chou m.), timbre-poste m. (un type de timbre m.), radio-réveil (un type de réveil m.), pause-café f. (un type de pause f.)  

                                                fermer son parapluie, un vieux parapluie


En résumé :

Le genre de PLUIE est hérité du latin, celui de PARAPLUIE est imposé par défaut.

18 octobre 2025

Une "CHEMISE" d'homme - un "CHEMISIER" de femme

Apprenants de français, sachez que le genre des vêtements ne dépend pas du sexe de ceux qui les portent.

Une "chemise" est un vêtement porté par un homme

CHEMISE est attesté en français depuis le 10e siècle. Il est issu dbas latin (5e s.) "camisia" f., une chemise de toile portée sur la peau. 

Un "chemisier" est un vêtement porté par une femme

CHEMISIER est un dérivé du nom français "chemise" à l'aide du suffixe masculin "-ier" formant des nom d'agent et/ou de profession. En effet, au début du 20e siècle, un "chemisier" ou "chemisière" désignait une personne qui faisait ou vendait des chemises pour homme. Dans les années 20, après glissement de sensil désignait également une "chemisette", une petite chemise, ou une blouse à devant plissé. 

En résumé

Le genre de "chemise" est étymologique, c'est à dire que le nom français a conservé le genre de son étymon latin. Le genre de "chemisier" est suffixal (morphologique), c'est à dire que le nom français a pris le genre dicté par son suffixe. 

un groupe de rock - une troupe de théâtre

"Groupe" est masculin, "Troupe" est féminin bien qu'ils partagent un sens proche et une finale en -pe /p/. 

Quelle en sont les raisons ? 

GROUPE (m.) est un emprunt à l'italien gruppo m. datant du 17e siècle ; le e final du français est orthographique puisqu'il permet de maintenir le son /p/ qui autrement serait devenu muet comme dans "coup, drap". "Groupe" désignant un ensemble musical tels que nous l'entendons aujourd'hui date des années soixante.

TROUPE (f.) a une toute autre origine qui s'avère plus complexe à retracer. Il est décrit dans les dictionnaires comme une régression de "troupeau" (régression accompagnée d'un changement de genre) qui comme de nombreux autres noms de l'ancien français (trope f. (fin 12e), tropel m.(1190), tropele f. (12e), tropelet m.) dérive du radical francique *trop*trop (entassement) qui avait donné le bas latin troppum nt ainsi que l'adverbe français "trop" (1080). Le féminin peut être dû à l'influence de trope f. ou à la finale fermée marquée typique du féminin ou encore à un féminin sémantique. "Troupeau" s'est spécialisé dans le regroupement d'animaux alors que "troupe" est réservé aux individus (une troupe militaire). C'est au 17e (1662) qu'il commence à désigner également un ensemble de comédiens jouant ensemble.  

Un somme - une somme


SOMME [sɔm]homophones et homographes de genre opposé

Genre grammatical et héritage latin : le cas de VERRE et VITRE

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